Pourquoi des entreprises en viennent à « acheter » une convention de stage
La plupart des DRH et managers ne se lèvent pas le matin avec l’envie de contourner la loi. Pourtant, le marché parallèle des « conventions de stage à vendre » existe bel et bien : petites annonces, plateformes douteuses, pseudo-écoles… et quelques entreprises tentées de « fermer les yeux » pour aller plus vite.
Pourquoi ? Principalement pour trois raisons :
- Besoin urgent de main-d’œuvre pour remplacer un départ, absorber un pic d’activité ou tester un poste, sans passer par un CDD ou une mission d’intérim jugés « trop lourds » ou « trop chers ».
- Volonté de “rendre service” à un candidat qui a besoin d’une convention pour valider un diplôme, parfois à l’étranger.
- Méconnaissance des règles : confusion entre stage, période d’essai, job étudiant, mission freelance, etc.
Sur le papier, acheter une convention de stage peut sembler une solution simple pour accueillir un « stagiaire » en quelques jours. Dans la réalité, c’est une prise de risque juridique et financier considérable, totalement disproportionnée par rapport au gain supposé.
Ce que dit la loi : rappel rapide du cadre des stages
En France, le stage est strictement encadré par le Code de l’éducation (articles L124-1 et suivants) et, pour certains aspects, par le Code du travail.
Un stage légal doit impérativement respecter trois principes :
- Un objectif pédagogique clair : le stage est d’abord une modalité de formation, pas un contrat de travail déguisé.
- Une convention tripartite : elle est signée entre l’établissement d’enseignement, l’organisme d’accueil et le stagiaire.
- Un rattachement réel à un cursus de formation : l’établissement doit être reconnu, le stage intégré à un parcours diplômant ou certifiant, avec un enseignant-référent identifié.
Acheter une convention de stage auprès d’un organisme qui n’est pas un établissement d’enseignement légitime, ou sans véritable projet pédagogique, revient donc à contourner ce cadre. Juridiquement, vous ne faites plus un stage : vous organisez du travail dissimulé.
« Fausse » convention de stage = vrai risque de travail dissimulé
Concrètement, que risque une entreprise qui achète une convention de stage ou qui ferme les yeux sur une convention manifestement fictive ?
Plusieurs qualifications juridiques peuvent être retenues, souvent cumulées :
- Travail dissimulé (article L8221-5 du Code du travail) : si la personne effectue un travail réel, dans des conditions proches d’un salarié (horaires, subordination, tâches productives), sans contrat de travail en bonne et due forme.
- Prêt illicite de main-d’œuvre : si un « intermédiaire » fournit en réalité un pseudo-stagiaire comme s’il s’agissait d’une agence d’intérim déguisée.
- Abus de stage : si le poste correspond en fait à un emploi permanent, à un remplacement ou à un accroissement d’activité.
En cas de contrôle (Inspection du travail, URSSAF, Prud’hommes), le « stagiaire » peut être requalifié en salarié. Avec à la clé :
- rappel de salaires (au minimum le SMIC ou la convention collective applicable) ;
- paiement des cotisations sociales sur toute la période ;
- indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, absence de contrat écrit, etc. ;
- amendes administratives et pénales, voire sanctions pénales pour travail dissimulé.
Dans plusieurs affaires récentes, le coût total pour l’entreprise a largement dépassé les dizaines de milliers d’euros… pour un stagiaire censé « coûter moins cher » qu’un CDD.
Les signaux d’alarme d’une convention de stage à risque
Sur le terrain, comment reconnaître une convention douteuse avant qu’il ne soit trop tard ? Quelques signaux faibles doivent immédiatement alerter :
- L’étudiant ne connaît pas vraiment son école : incapable d’expliquer son cursus, pas d’adresse physique claire, pas de site institutionnel sérieux.
- L’établissement n’exige rien : pas de projet pédagogique, pas d’enseignant référent, pas de suivi, pas de rapport demandé.
- La convention peut être obtenue « en 24h, sans condition » via un site ou un intermédiaire qui facture des « frais administratifs » démesurés.
- Le stage n’est rattaché à aucun diplôme identifiable : pas de référence RNCP, pas de programme, pas de session d’examens.
- La mission proposée est un vrai poste : gestion complète d’un portefeuille clients, remplacement d’un salarié absent, pilotage d’un service, etc.
Si vous cochez plusieurs de ces cases, vous n’êtes plus dans la zone grise. Vous entrez dans le champ des dérives les plus risquées.
Cas concrets : quand le stage dérape… et ce qui se passe ensuite
Voici deux situations vécues (rendus anonymes) qui illustrent les conséquences possibles.
Cas n°1 : la startup pressée
Une jeune startup en forte croissance recrute un « stagiaire business developer » pour 6 mois. Le candidat, diplômé depuis un an, trouve une pseudo-école en ligne qui lui fournit une convention contre 450 € de « frais d’inscription ». La direction ferme les yeux, ravie de l’avoir « pour 700 € par mois ».
Au bout de 4 mois, le stagiaire se rend compte qu’il effectue exactement les mêmes tâches que les commerciaux, sans commission ni congés payés. Il contacte l’Inspection du travail. Résultat :
- requalification en CDD sur 4 mois au SMIC + variables estimés ;
- cotisations URSSAF sur la même période ;
- amende pour travail dissimulé ;
- mauvais buzz sur les réseaux sociaux après un post LinkedIn du stagiaire.
Bilan : plus de 20 000 € de coûts imprévus, une image employeur écornée, et une équipe RH obligée de tout reconstruire.
Cas n°2 : la PME « qui voulait aider »
Une PME industrielle souhaite aider un jeune étranger à obtenir une expérience en France. Son université dans le pays d’origine tarde à envoyer les documents. Le jeune trouve une « école partenaire en France » qui délivre une convention moyennant 600 €. Le DRH signe, pensant faire une bonne action.
Lors d’un contrôle URSSAF, l’inspecteur découvre que l’établissement n’est pas reconnu et ne dispense en réalité aucun cours. La convention est considérée comme fictive. La PME doit :
- régulariser la situation du jeune (contrat de travail rétroactif) ;
- payer les cotisations ;
- justifier son dispositif de recours aux stagiaires pour les 3 dernières années.
Le DRH n’avait aucune intention frauduleuse, mais l’argument de la « bonne foi » ne suffit pas à effacer l’irrégularité.
Impact sur la marque employeur : le risque réputationnel sous-estimé
Au-delà du juridique, acheter une convention de stage est un vrai boomerang pour votre marque employeur.
Un stagiaire mal encadré ou instrumentalisé comme « salarié low cost » :
- partage son expérience sur les réseaux sociaux, Glassdoor, forums étudiants ;
- alerte son école, qui peut décider de suspendre le partenariat ;
- parle à ses camarades, qui n’enverront plus leurs CV chez vous.
À l’inverse, un dispositif de stages carré, transparent et pédagogique devient un puissant levier de recrutement :
- vivier de talents pré-qualifiés ;
- ambassadeurs positifs de votre culture d’entreprise ;
- pipeline naturel vers vos postes juniors et alternances.
C’est un choix stratégique : court-termisme risqué, ou investissement dans une politique de stages professionnelle.
Ce que vous pouvez faire légalement (et efficacement) à la place
Face à un besoin réel de renfort ou à la demande d’un candidat sans convention, plusieurs options saines existent.
1. Utiliser les bons contrats de travail
- CDD de surcroît d’activité : pour absorber un pic de production ou un projet ponctuel.
- Contrat d’usage ou d’intérim : dans les secteurs où c’est autorisé.
- CDI à temps partiel ou job étudiant : pour un étudiant déjà inscrit dans un cursus, mais sans convention disponible.
Oui, ces options ont un coût. Mais ce coût est prévisible, sécurisé juridiquement, et infiniment inférieur à celui d’une requalification.
2. Mettre en place un vrai partenariat écoles
Au lieu de contourner les établissements d’enseignement, travaillez avec eux :
- identifiez 3 à 5 écoles ou universités cibles, en lien avec vos métiers clés ;
- rencontrez les responsables de formation et les services stages ;
- co-construisez des fiches missions pédagogiques, validées par les écoles ;
- participiez aux forums, jurys, interventions en cours pour vous faire connaître.
Résultat : des conventions sécurisées, des profils motivés, et une image d’employeur responsable.
3. Formaliser une politique de stages claire
Pour éviter les dérapages internes (manager qui « déniche » un stagiaire via un contact douteux, par exemple), posez quelques règles simples :
- validation systématique de toute convention par les RH ou la direction ;
- liste des établissements partenaires autorisés ;
- grille de missions types, avec niveau d’autonomie et tuteur identifié ;
- rémunération minimale interne supérieure au minimum légal (atout marque employeur) ;
- durée maximale et délai de carence entre deux stagiaires sur un même poste.
Checklist RH : vérifier la conformité d’une convention de stage
Avant de signer, posez-vous systématiquement ces questions :
- L’établissement est-il clairement identifié (adresse, numéro SIRET, site institutionnel, reconnaissance par l’État ou organisme sérieux) ?
- Le cursus est-il réel et structuré (programme, diplôme ou certification, calendrier pédagogique) ?
- Un enseignant-référent est-il désigné, avec des coordonnées professionnelles ?
- La convention précise-t-elle l’objectif pédagogique, les compétences visées, les modalités d’évaluation ?
- La mission correspond-elle à un apprentissage et non à un poste permanent ou à un remplacement ?
- Les horaires, la durée et la gratification respectent-ils la réglementation (durée maximale, seuil de gratification, congés, etc.) ?
- Le stagiaire peut-il fournir une attestation d’inscription pour l’année en cours ?
Si une seule réponse vous met mal à l’aise, creusez. Si plusieurs réponses sont « non » ou floues, ne signez pas.
Et si un candidat vous propose lui-même une convention « achetée » ?
De plus en plus souvent, ce ne sont pas les entreprises qui vont chercher une convention douteuse, mais les candidats qui arrivent avec une solution « clés en main » : une école en ligne, un organisme privé, une association « éducative ».
Votre responsabilité reste engagée si vous signez en sachant, ou en pouvant savoir, que la convention est irrégulière.
La bonne réaction :
- expliquez au candidat les risques pour lui et pour l’entreprise ;
- refusez clairement de signer une convention sans garanties suffisantes ;
- proposez, si possible, une alternative : CDD étudiant, vacation, mission freelance encadrée (si les conditions sont réunies), ou décalage du stage une fois la vraie convention obtenue.
Ce discours, assumé et pédagogique, renforce votre crédibilité. Beaucoup de jeunes ignorent la portée juridique de ces pratiques ; vous pouvez aussi avoir un rôle d’éducation.
Plan d’action « demain matin » pour sécuriser vos stages
Pour transformer ces principes en actions concrètes, voici une feuille de route courte et opérationnelle :
- Étape 1 : cartographier vos pratiques actuelles
Listez tous les stagiaires des 24 derniers mois : écoles d’origine, missions, durées, managers, gratification. Identifiez les cas limites (écoles peu connues, missions proches d’un poste permanent).
- Étape 2 : définir une politique écrite des stages
Sur 2 à 3 pages maximum, formalisiez vos règles : écoles cibles, types de missions autorisées, durée, gratification, process de validation des conventions.
- Étape 3 : créer un kit interne pour les managers
Incluez :
- un modèle de fiche mission stage ;
- une check-list de vérification de la convention ;
- un guide d’accueil et de suivi du stagiaire (points réguliers, feedback, rapport de stage).
- Étape 4 : sécuriser la signature des conventions
Décidez qui, dans l’entreprise, a le pouvoir de signer une convention (DRH, RRH, direction générale) et centralisez les validations. Interdisez toute signature directe par un manager.
- Étape 5 : nouer 2 à 3 partenariats écoles prioritaires
Ne cherchez pas la dispersion : concentrez-vous sur quelques établissements alignés avec vos besoins métiers, et construisez avec eux un flux régulier de stagiaires.
- Étape 6 : communiquer votre position
Sur vos offres de stage et votre site carrières, indiquez clairement : « Nous n’acceptons que des conventions de stage émises par des établissements d’enseignement reconnus et intégrées à un cursus de formation. » C’est un signal fort de sérieux.
En traitant le sujet de façon frontale, vous vous protégez juridiquement, vous gagnez en crédibilité auprès des écoles, et vous envoyez un message positif aux candidats : chez vous, le stage est un vrai tremplin professionnel, pas un contrat de travail low cost déguisé.