Lettre de motivation écrite à la main : où en est-on vraiment en 2025 ?
Entre les candidatures sur mobile, l’IA générative et les entretiens vidéo, la lettre de motivation écrite à la main ressemble à un vestige d’un autre temps. Pourtant, certaines entreprises la demandent encore dans leurs annonces, parfois de manière systématique.
Alors, caprice de recruteur « à l’ancienne » ou réel outil d’évaluation ? Faut-il maintenir cette pratique, l’adapter… ou l’abandonner définitivement ? Et côté candidats, comment réagir lorsqu’on tombe sur cette fameuse mention « lettre manuscrite exigée » ?
Passons en revue les usages actuels, les risques et les alternatives, avec un objectif très opérationnel : vous aider à décider quoi faire demain matin dans vos pratiques de recrutement.
La lettre de motivation manuscrite : ce que disent les pratiques de terrain
Dans les faits, la lettre de motivation écrite à la main a quasiment disparu des grandes entreprises et des cabinets de recrutement, mais elle subsiste encore dans certains contextes :
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PME familiales ou structures très ancrées localement, où le dirigeant reste fortement impliqué dans les recrutements.
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Secteurs perçus comme « traditionnels » (bâtiment, commerce de proximité, artisanat, transport, administratif local…).
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Postes à contact client, où le manager pense encore que « l’écriture soignée = sérieux et rigueur ».
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Candidatures spontanées papier, notamment dans les petites villes et pour des emplois de proximité.
Sur le terrain, on observe trois grandes situations :
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La lettre manuscrite est demandée, mais très peu l’envoient : beaucoup de candidats ignorent la consigne ou renoncent, estimant la pratique dépassée.
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Elle est envoyée, mais rarement lue avec attention : le recruteur ou le manager regarde surtout le CV et traite la lettre en coup d’œil rapide.
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Elle est utilisée de manière officieuse pour « se faire une idée » : qualité de l’écriture, corrections, respect des codes… sans méthode structurée d’évaluation.
Autrement dit, la lettre manuscrite existe encore, mais son usage est souvent flou, peu objectivé et loin des bonnes pratiques RH modernes.
Pourquoi la lettre manuscrite a été si utilisée… puis progressivement abandonnée
Historiquement, plusieurs arguments ont justifié l’usage de la lettre de motivation écrite à la main.
Les raisons « d’hier » :
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La graphologie : l’idée qu’on pouvait « lire la personnalité » dans l’écriture a longtemps séduit managers et recruteurs, en particulier dans les années 80-90.
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L’orthographe et la syntaxe : la lettre manuscrite était un moyen pratique de vérifier le niveau de rédaction sans correcteur automatique.
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La motivation « prouvée » : écrire une lettre à la main demandant plus d’effort, on considérait que celui qui s’y pliait montrait une motivation plus forte.
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La rareté des outils numériques : tout simplement, le courrier papier était le canal standard pour candidater.
Pourquoi ces arguments ne tiennent plus vraiment aujourd’hui ?
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La graphologie est largement discréditée : les études scientifiques n’ont pas démontré sa fiabilité prédictive sur la performance professionnelle. De plus en plus de DRH la bannissent pour des raisons d’éthique et de conformité.
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Orthographe et rédaction peuvent être évaluées autrement : tests en ligne, cas pratiques, mails de mise en situation… et analyse de la lettre numérique elle-même.
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Motivation ≠ capacité à écrire à la main : de nombreux candidats motivés privilégient les outils modernes (mail, formulaire, LinkedIn), surtout chez les jeunes diplômés.
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Le digital a transformé les processus : ATS, multiposting, suivi des candidatures, entretiens vidéo… La lettre manuscrite s’intègre mal dans ces workflows.
Résultat : la plupart des grandes organisations ont abandonné la lettre manuscrite, soit pour des raisons d’efficacité, soit pour des raisons d’image et de conformité juridique.
Demander une lettre manuscrite en 2025 : quels risques pour l’employeur ?
Au-delà du côté « old school », demander une lettre de motivation écrite à la main pose plusieurs questions sérieuses.
1. Risque d’atteinte à l’égalité des chances
Une lettre manuscrite peut désavantager certaines catégories de candidats :
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Personnes en situation de handicap (troubles moteurs, dysgraphie, troubles de l’apprentissage).
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Candidats étrangers ou peu à l’aise avec l’écriture cursive française.
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Candidats jeunes, pour qui cette pratique est devenue inhabituelle et anxiogène.
Imposer systématiquement la lettre manuscrite, sans lien direct avec les compétences nécessaires au poste, peut être interprété comme une exigence disproportionnée et potentiellement discriminatoire.
2. Risque juridique autour de la graphologie
Si la lettre manuscrite est utilisée pour une analyse graphologique, plusieurs écueils apparaissent :
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Méthode non validée scientifiquement comme outil d’évaluation professionnelle.
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Opacité du critère d’évaluation pour le candidat (il ne sait pas sur quoi il est jugé).
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Difficulté à justifier objectivement un refus d’embauche fondé (même partiellement) sur la graphologie, en cas de contentieux.
Les autorités (ex CNIL en France) ont régulièrement rappelé la vigilance nécessaire autour de ces pratiques.
3. Risque d’atteinte à l’image employeur
Du point de vue marque employeur, la mention « lettre manuscrite exigée » peut envoyer plusieurs signaux négatifs :
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Entreprise perçue comme rigide, peu digitalisée, voire déconnectée.
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Processus jugé lourd et dissuasif (« trop d’efforts pour un simple premier contact »).
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Manque de respect du temps du candidat, surtout dans un marché pénurique.
Résultat concret : baisse du volume de candidatures, surtout chez les profils qualifiés qui ont le choix.
4. Risque en termes d’efficacité du recrutement
Gérer des lettres manuscrites signifie pour votre équipe RH :
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Réception et stockage physique (ou numérisation), avec risques de pertes.
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Temps administratif non négligeable pour les traiter.
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Difficulté à les intégrer dans les ATS ou les tableaux de suivi.
Tandis que les gains réels en qualité de sélection restent très discutables.
Y a-t-il encore des cas où la lettre manuscrite peut avoir du sens ?
En pratique, je vois encore quelques cas spécifiques où la lettre manuscrite peut être utilisée de manière ciblée, mais avec des précautions.
1. Contextes très particuliers et clairement assumés
Par exemple :
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Postes de confiance dans de petites structures (assistant·e de direction, poste au plus près du dirigeant) où la démarche manuscrite s’inscrit dans une culture d’entreprise très personnalisée.
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Recrutements « hors cadre » pour des postes rares, où le dirigeant veut tester la ténacité et l’investissement dans la démarche (en plus d’autres outils sérieux).
Même dans ces cas, la lettre manuscrite ne devrait être qu’un élément parmi d’autres, et jamais le critère principal.
2. Demande optionnelle, et non obligatoire
Plutôt que « lettre manuscrite exigée », on peut envisager :
« Vous pouvez, si vous le souhaitez, joindre une lettre de motivation manuscrite. Elle ne constitue pas un critère éliminatoire. »
On limite ainsi les risques de discrimination et on n’écarte pas d’emblée les candidats pour qui cette démarche serait un frein.
3. Usage ciblé, avec transparence sur l’évaluation
Si vous demandez une lettre manuscrite, explicitez ce que vous allez réellement évaluer :
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Capacité à structurer un propos (introduction, développement, conclusion – même si on évite ce mot dans l’article…).
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Clarté de l’argumentation par rapport au poste.
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Qualité globale de l’expression écrite.
Et non des éléments « psychologisants » basés sur la forme de la lettre, l’inclinaison de l’écriture ou la pression du stylo.
Côté candidats : que faire si on vous demande encore une lettre manuscrite ?
Pour les candidats, la situation est souvent délicate : faut-il jouer le jeu, ou passer son chemin ?
1. Analyser le contexte
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PME locale, boutique, artisan : la demande manuscrite peut traduire une culture de proximité, un fonctionnement peu digitalisé. Si le poste vous intéresse vraiment, suivre la consigne peut être un signal de respect du code de la maison.
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Groupe ou institution importante : si la lettre manuscrite est exigée, interrogez-vous sur la modernité des processus internes. C’est parfois le symptôme d’une culture très hiérarchique.
2. Jouer le jeu… mais intelligemment
Si vous décidez de vous y plier :
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Soignez la lisibilité avant l’esthétique : écriture claire, phrases courtes, marge régulière.
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Restez sur une page maximum.
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Structurez votre lettre : pourquoi cette entreprise, pourquoi ce poste, ce que vous apportez, et l’envie d’échanger.
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Faites une version brouillon sur ordinateur avant de recopier, pour gagner en fluidité.
3. Oser poser la question
Il est tout à fait légitime de demander au recruteur :
« Je vois que vous demandez une lettre manuscrite. Est-ce un critère éliminatoire, ou puis-je vous envoyer une lettre de motivation tapée, plus complète, par mail ? »
La manière dont l’employeur répond vous donnera déjà un aperçu de sa souplesse et de sa culture.
Quelles alternatives modernes à la lettre manuscrite pour les recruteurs ?
Si votre objectif est de mieux évaluer la motivation, la qualité rédactionnelle ou la rigueur, vous avez aujourd’hui des outils beaucoup plus pertinents que la lettre manuscrite.
1. La lettre de motivation structurée… mais numérique
Vous pouvez :
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Demander une lettre de motivation courte (10 à 15 lignes), intégrée dans le mail ou le formulaire de candidature.
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Guider le candidat avec 3 questions ciblées, par exemple :
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Pourquoi ce poste en particulier ?
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Quels sont les 2 principaux atouts que vous apporterez à l’équipe ?
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Racontez une situation où vous avez obtenu un résultat concret en lien avec le poste.
2. Le cas pratique écrit
Pour évaluer à la fois rédaction, structuration et raisonnement, vous pouvez proposer un cas concret, en situation :
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Rédaction d’un mail à un client mécontent.
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Note de synthèse à un manager après une situation complexe.
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Mini-argumentaire de vente sur un produit de l’entreprise.
La valeur prédictive de ces exercices est largement supérieure à celle d’une lettre manuscrite générique.
3. Les échanges écrits dans le process
Vous pouvez aussi évaluer la qualité de l’écrit à travers :
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Les mails échangés pour fixer l’entretien.
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La manière dont le candidat répond à une demande d’informations complémentaires.
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Un court compte-rendu demandé après un entretien (« envoyez-moi en 5 lignes les 3 points clés que vous retenez du poste »).
Faut-il abandonner définitivement la lettre manuscrite dans vos processus ?
Si l’on confronte les « avantages » supposés de la lettre manuscrite aux contraintes actuelles des entreprises (pénurie de candidats, digitalisation, impératifs de conformité), la balance penche clairement.
Les bénéfices réels de la lettre manuscrite sont :
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Limités en termes de prédiction de la performance.
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Difficiles à objectiver et à expliquer.
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Remplaçables par des outils plus modernes, plus rapides et plus équitables.
Les inconvénients sont, eux, bien concrets :
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Ralentissement du processus de recrutement.
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Perte potentielle de bons candidats, surtout juniors et profils pénuriques.
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Image datée de l’entreprise.
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Risque juridique si la lettre manuscrite est utilisée de manière opaque.
Pour la majorité des organisations, la décision la plus cohérente est donc : ne plus exiger de lettre de motivation manuscrite, et concentrer l’évaluation sur des outils à plus forte valeur ajoutée.
Plan d’action : que décider et mettre en place dès maintenant ?
Pour aligner vos pratiques de recrutement avec les enjeux actuels, voici un plan d’action simple en cinq étapes.
1. Faire l’inventaire de vos annonces et process actuels
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Recensez toutes les offres (en ligne, vitrines, affichettes) où la lettre manuscrite est mentionnée.
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Identifiez les managers ou services qui y sont encore attachés.
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Analysez le réel usage qui en est fait dans la sélection.
2. Décider d’une position claire au niveau RH
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Formulez une règle simple : par exemple « nous ne demandons plus de lettres manuscrites » ou « elles ne peuvent être qu’optionnelles et ne constituent jamais un critère éliminatoire ».
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Faites valider cette position par la Direction et, si possible, les IRP.
3. Remplacer la lettre manuscrite par des outils ciblés
En fonction des compétences que vous cherchez à mesurer :
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Motivation : 2-3 questions ciblées dans le formulaire de candidature.
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Expression écrite : mini cas pratique ou mail de mise en situation.
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Rigueur et soin : consignes précises dans l’offre (fichier unique, mail avec un objet précis, réponse avant une date) et observation du respect de ces consignes.
4. Accompagner les managers « attachés au manuscrit »
Ne vous contentez pas de supprimer la mention dans les annonces. Proposez-leur :
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Un atelier rapide sur les limites de la lettre manuscrite et les risques juridiques.
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Des modèles de questions d’entretien ciblées sur la motivation et la posture.
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Un ou deux exemples de cas pratiques à utiliser à la place.
5. Mettre à jour vos supports et scripts de communication candidat
Pour gagner du temps, voici quelques formulations prêtes à l’emploi.
a) Phrase à intégrer dans vos offres, si vous abandonnez le manuscrit
« Nous ne demandons pas de lettre de motivation manuscrite. En revanche, merci de répondre en quelques lignes aux questions suivantes dans votre mail ou dans le formulaire de candidature… »
b) Script de réponse à un manager qui réclame encore une lettre manuscrite
« On peut tout à fait continuer à évaluer la motivation et la rigueur, mais avec des outils plus fiables et moins risqués pour l’entreprise. Je vous propose qu’on remplace la lettre manuscrite par un cas pratique écrit et 3 questions ciblées. On garde l’esprit de ce que vous recherchez, mais avec une méthode plus moderne et conforme. »
c) Script de réponse à un candidat qui vous demande si la lettre manuscrite est obligatoire
« Non, nous ne demandons plus de lettre manuscrite. En revanche, nous attachons de l’importance à la qualité de l’expression écrite. Merci de nous expliquer en 10 à 15 lignes pourquoi vous postulez à ce poste et ce que vous pensez apporter à l’équipe. »
En clarifiant votre position et en mettant en place des alternatives concrètes, vous gagnez sur tous les tableaux : expérience candidat, efficacité du processus, image employeur… et sérénité juridique.